H I S T O I R E D E S M O T T E S C A S T R A L E S
MOTTES CASTRALES ET ARCHITECTURE
Une motte castrale est une fortification médiévale appelée à tort « motte féodale ». Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas l’ancêtre des châteaux en pierre, car les ceux-ci existaient déjà au XIème siècle, ainsi que des donjons. Cependant, ces mottes, lorsqu'elles n'ont pas été abandonnées, ont permis la construction des châteaux forts que nous connaissons. Construites en bois, il ne reste, à part les tertres, que très peu de reliques des mottes castrales de bois. Elles étaient nombreuses sur le territoire français ( ex : 280 sites ont été recensés en Ille-et-Vilaine, 340 mottes en Nord Pas de Calais, 197 mottes en Franche-Comté dont 109 dans le Jura).
Selon les recherches, il semblerait que les mottes castrales ont vu le jour durant les dernières décennies du Xème siècles, entre la Loire et le Rhin, après les invasions vikings du IXème siècle, mais aussi lors des premiers mouvements d'émancipation des comtes et des princes face aux derniers rois carolingiens. Ces mottes furent créées pour former une organisation défensive du territoire, les armées carolingiennes n'arrivant pas à gérer les vagues d'invasions des Vikings (devenus Normands lorsqu'ils se sont sédentarisés dans le territoire) par la mer au Nord-Ouest, des Hongrois au Nord-Est, et des Sarrasins par la mer au Sud. La fin de ces édifices daterait de la moitié du XIIIème siècle, lorsque les seigneurs se sédentarisent, en remplaçant peu à peu les édifices de bois par de la pierre.
C'est un type d'architecture défensive construit sur un site stratégique qui sert à la fois de lieu d'habitation et de retranchement militaire, mais c'est aussi le lieu du pouvoir administratif et judiciaire du seigneur. Cela lui permettait d'avoir un lieu défensif et d'avoir le pouvoir sur son peuple.
Les mottes castrales se caractérisent généralement par un tertre de dimension variable surmonté d'une tour, d'une haute cour et d'une basse-cour, entourée de fossés. Ces fossés, selon le lieu géographique, sont remplis ou non d'eau, car leur création n'est due qu'à l'utilisation de la terre nécessaire à la construction de la motte.
Les documents contemporains donnent peu de renseignements sur les mottes castrales. Une remarque intéressante est conservée dans le Livre des Miracles de Saint-Bertin. Voici ce que dit le scribe à propos du siège de Saint-Omer par les Normands au milieu du IXe siècle :
« Les Normands se dirigèrent vers la petite forteresse élevée, (…) au lieu appelé Sithiu, (…) forteresse construite pauvrement, faite de bois, de terre et de gazon, mais très habilement et ainsi très solide. » ~ Anonyme, Livre des Miracles de Saint-Bertin, milieu du IXe siècle ~
Dominant les environs, la motte castrale était dotée d'éléments de défense (fossés, hais, palissades...) qui marquaient l'autorité seigneuriale.
LA MOTTE
Les archéologues classent les mottes en 3 catégories : - les mottes bâties sur un accident naturel à l'abri, par exemple un rebord de plateau, une colline...). Elles sont plutôt courantes dans les régions montagneuses (Auvergne, Languedoc...) - les mottes totalement artificielles sur terrain plat et sans appui du relief - les mottes – plus rares – qui forment une variante des deux précédentes « une levée de terre annulaire » renforcée par une palissade
La motte est un tronc de cône au flancs pentus dont l'inclinaison est généralement de 30°. Les dimensions des mottes varient d'un site à l'autre (20 à 100m de diamètre à la base et 5 à 20m de hauteur) mais généralement les mottes ont un diamètre de base de 30m, un diamètre sommital de 10m et une hauteur de 10m. La hauteur était importante puisque, au milieu du XIIème siècle, l'archidiacre de Thérouanne écrivait :
« Les hommes les plus riches (…) [de Flandre] ont coutume d'élever (…) une motte aussi haute que possible (…) de creuser tout autour une fosse. »
~ Gauthier de Thérouanne, Vita Johannis, episcopi Tervanensis, 1150 ~
De nombreuses fouilles archéologiques ont révélé que les mottes étaient des objets artificiels (ou partiellement), généralement faits de terre ou de gazon, structurées en couches de consolidation et érigées rapidement.
Bien qu'aucune n'ait été conservée, au sommet de la motte se dressait une tour quadrangulaire, de petite dimension et dont la hauteur variait elle aussi. Selon les dimensions, cette tour servait parfois d'appartement seigneurial mais elle était avant tout une tour de guet et un entrepôt destiné généralement à la nourriture. C’est un édifice que les seigneurs se transmettent sur plusieurs générations en l'aménageant autant que nécessaire.
LA BASSE COUR
Basse cour unique
Au pied de la motte, en position inférieure par rapport au donjon, on retrouve généralement (mais pas toujours) la basse cour (ou bayle, bailey, Vorburg), généralement circulaire, et délimitée par une palissade et protégée par un fossé de 3 à 5m de profondeur sur 6m de largeur. On y accède par un pont ou une interruption dans le fossé. Une rampe de bois sur deux piliers permet d'accéder à la tour car elle est séparée de la basse cour par un fossé et deux autres palissades (au pied de la motte et autour du donjon)
Elle rassemble les bâtiments de la ferme du domaine : l'habitat des paysans, les granges, les étables, les artisans, les magasins. Cependant, il arrive aussi que certaines des habitations des paysans se situent en dehors des palissades, afin de se trouver plus près des terrains cultivables. Dans la basse cour se trouvent aussi les logements des hommes d'armes et parfois d'autres constructions à vocation artisanale (fours de potier, forge...). Si la dimension de la tour est trop étroite, on y trouve aussi la demeure seigneuriale.
Dès le XIème siècle, il est fréquent d'y trouver la chapelle et parfois même le cimetière.
Les bâtiments de terre et de bois sont construits en périphérie d'une cour centrale, le long des fossés. En cas de danger, la basse court sert de refuge pour la population des alentours.
Basse cour double
Il arrive que l'on retrouve sur certains sites une seconde basse cour, généralement proche de l'entrée et qui servait au stockage des denrées et protégeait les résidences en formant une première basse cour. Cet espace comprenait certainement aussi des bâtiments agricoles et résidentiels.
Dans ce cas, la basse cour au bas de la motte englobait une grande partie du village, dont l'église et le cimetière.
FONCTION RESIDENTIELLE
La première fonction de la motte castrale était celle du logement.
Le témoignage du chroniqueur Lambert d'Ardres prouve qu'une construction en bois n’exclut pas un certain confort d’aménagement : plusieurs chambres, logis, celliers, magasins à provisions et chapelle, le tout sur trois niveaux. Pour André Debord, « la motte n’était pas l’habitat caractéristique de la petite chevalerie de village (…) de trop médiocre fortune pour pouvoir fonder une seigneurie châtelaine ». Le chevalier (miles) résidait selon lui « plutôt dans une grosse ferme pourvue de quelques éléments de défense »
On sait aussi aujourd'hui qu'un « château à motte », bâti pour durer, connaissait un certain nombre de phases. En 2004, des archéologues ont découvert une demeure en bois avec tous les vestiges de la vie quotidienne du XIe siècle à Pineuilh (Gironde). Les fouilles ont confirmé une occupation médiévale de la fin du Xe siècle à la fin du XIe siècle. On a déterminé qu'à partir de 978, la première habitation est construite au centre de l'enclos, puis en 981, elle est remplacée par un grand bâtiment assis sur des poteaux de bois, en activité jusque vers 1070.
La tour résidentielle en bois au sommet de la motte, n'était pas toujours dépourvue de confort. Elle pouvait être grande et très confortables, car le bois et la terre sont des matériaux isolants qui peuvent agir de concert lorsque la tour est construite en torchis et colombages. Des tapisseries servaient à tendre les appartements, à en déguiser la nudité, à les protéger du froid et les résidents pouvaient se chauffer à l’aide de braseros.
ARCHITECTURE
Des habitations antérieures au XIème siècle, il ne reste rien. On peut donc s'en faire des idées par les renseignements que nous offrent les textes d'écrivains, les vignettes de manuscrits et les bas reliefs. Les maisons du début du Moyen-Age étaient faites de bois, en un mélange de charpenterie et d'empilages de pièces assemblées aux angles.
Les renseignements que l’on peut réunir sur les habitations des époques mérovingienne et carolingienne nous laissent voir quelques traces de la méthode des constructions de bois, par empilage, une connaissance assez développée de la construction de bois de charpente assemblés et des traditions gallo-romaines.
À l’époque où nous pouvons commencer à recueillir des fragments d’habitations françaises, c’est-à-dire à la fin du XIe siècle, nous constatons la présence des influences à la civilisation latine et aux traditions indo-germaniques. Il se produit, dans l’art de la construction des maisons en France au moyen âge, des oscillations singulières qui dépendent de la prédominance du caractère gaulois ou germain sur les restes de la civilisation latine, ou de celle-ci sur les traditions locales et sur les goûts des envahisseurs transrhénans.
Ainsi, au XIIe siècle, pendant le plus grand développement de l’institut monastique clunisien et cistercien, dans les villes où domine l’influence de nos abbayes, la maison est construite en maçonnerie tandis que dans les villes plus indépendantes ou immédiatement placées sous le pouvoir royal, la maison de bois tend chaque jour à remplacer la maison de pierre.
En France, pendant la première période du moyen âge et jusqu’au XIIe siècle, il semble que dans les habitations privées on ait maintenu les traditions gallo-romaines pour le rez-de-chaussée, et que l’on ait adopté les habitudes introduites par les peuples venus du nord pour les étages supérieurs.On aurait ainsi adopté un système de construction résultant de deux méthodes entées l’une sur l’autre par les habitudes de deux civilisations différentes. Les ouvrages de bois ont, dès l’origine, un caractère qui appartient évidemment aux races du nord. Cette superposition de deux systèmes de constructions, issus de deux civilisations opposées, ne parvient qu’à grand peine à former un ensemble complet, et, jusqu’à la fin du XIIe siècle, on reconnaît que le mélange n’est pas effectué.
L’école laïque du XIIIe siècle parvient à opérer ce mélange, parce qu’elle abandonne entièrement les traditions romaines,c'est à cette époque que les constructions privées prennent un caractère véritablement français. Il suffit de jeter les yeux sur les manuscrits occidentaux des IXe, Xe et XIe siècles, sur quelques sculptures d’ivoire de cette époque et même sur la tapisserie de Bayeux, pour constater l’influence des traditions de constructions gallo-romaines dans les maçonneries du rez-de-chaussée des habitations et celle des constructions de bois indo-germaniques pour les couronnements des palais et maisons, tandis que les églises affectent toujours ou la forme de la basilique latine ou celle de l’édifice religieux byzantin. Si les seigneurs et les citadins laissaient les moines arranger l’architecture de leurs monastères à leur guise (et ceux-ci étaient latins par tradition), ils exerçaient une influence sur les constructeurs chargés d’élever leurs habitations. Aussi, au XIIe siècle déjà, les maisons des citadins ne ressemblent nullement aux bâtiments d’habitation des monastères : c’est un autre art, ce sont d’autres méthodes de construire ; l’architecture civile se forme avec l’établissement des communes, elle prend une allure indépendante tout comme le château féodal.
Au XIIe siècle, l’architecture monastique ne progresse plus tandis que l’architecture militaire et l’architecture domestique se développent ; les bourgeois, comme les seigneurs, veulent avoir un art flexible qui se prête à toutes les exigences des habitudes changeantes d’une société. Dès que le pouvoir des établissements religieux s’affaiblit, l’esprit municipal et même politique se révèle, et le siècle n’est pas encore achevé que tous les travaux d’art et d’industrie sont entre les mains de ces gens de ville qui, cinquante ans plus tôt, devaient tous demander aux couvents depuis le plan du palais jusqu’aux serrures des portes.
L’aspect de la maison de ville française de la fin du XIe siècle et du commencement du XIIe ne rappelle pas la maison romaine. Les vues sont sur la voie publique, et la cour, s’il en existe, n’est réservée qu’aux services domestiques. De la rue on entre directement dans la salle principale, presque toujours relevée au-dessus du sol de plusieurs marches. Cette première salle, dans laquelle on reçoit, dans laquelle on mange, est doublée d’une arrière-salle qui sert alors de cuisine, ou, les jours ordinaires, de salle à manger ; les chambres sont situées au premier étage.
Dans les campagnes, chaque maison ne contient qu’une pièce avec sa cheminée ; si l’on veut deux pièces, ce sont deux maisons qui se joignent par les pignons. Dans cette habitation, aucune décoration, rien qui fasse pressentir un goût pour l’art même le plus grossier. Les bois sont à peine équarris, le plancher est couvert d’une terre battue enduite d’une couche formée de sable granitique et d’argile. Les maisons des paysans sont en pans de bois hourdés en terre mêlée de paille, couvertes en chaume ou en bardeaux.
Dans les provinces du Centre, comme l’Auvergne, le Velay et la partie septentrionale de l’ancienne Aquitaine, il semblerait que les traditions celtiques s’étaient conservées très-avant dans le moyen âge. Les maisons des habitants des campagnes étaient en partie creusées sous terre et recouvertes d’une sorte de tumulus formé de terre et de pierres amoncelées sur des pièces de bois posées rayonnant autour d’une poutre principale. Une ouverture pratiquée sur un des côtés de cet amoncellement servait de porte et de fenêtre, la fumée du foyer s’échappait par un orifice ménagé au centre du tumulus. Certaines chaumières du Bocage et de la Bretagne ont quelques rapports avec celles-ci, sauf que le sol intérieur est plus bas que le sol extérieur, et que les toits couverts en chaume descendent presque jusqu’à terre. Mais ces habitations n’affectent pas à l’extérieur la forme conique, elles sont couvertes par des toits à double pente avec deux pignons en pierres sèches ou en pans de bois hourdés en torchis.
En nous rapprochant des bords du Rhin, dans les provinces de l’Est, dans les montagnes des Vosges, près des petits lacs de Gérardmer et de Retournemer, on voit encore des habitations de paysans qui présentent tous les caractères de la construction de bois par empilage. Basses, larges, bien faites pour résister aux ouragans et pour supporter les neiges, elles ont un aspect robuste. Presque toujours ces maisons se composent de trois pièces à rez-de-chaussée et de quatre pièces sous comble Le plan d’une de ces maisons, prise au niveau du rez-de-chaussée, présente la salle d’entrée, de laquelle on passe ou dans la grande salle, ou dans l’arrière-pièce qui possède l’unique escalier montant au premier étage sous comble. C’est dans la grande salle, éclairée par les deux bouts, que se réunit toute la maisonnée pour les repas et la veillée. C’est aussi dans cette pièce que se préparent les aliments. Une grande cheminée avec pieds-droits, contre-cœur, manteau et tuyau en maçonnerie, traverse la toiture. C’est la seule partie du bâtiment qui, avec les socles, ne soit pas en bois. La couverture est faite ou en tuiles, ou en grès schisteux, ou en lames minces de grès ; de plus elle est chargée de pierres. Les maisons s’élèvent sur un soubassement de 1m de hauteur environ, formé de gros blocs de grès. Un pan de bois composé de troncs d’arbres assez grossièrement équarris sépare la masure dans sa longueur par le milieu, et supporte l’extrémité supérieure des chevrons. Ce pan de bois, les deux autres latéraux, débordent sur les deux pignons, en encorbellement, et forment ainsi des auvents très-prononcés. Un plancher fait de solives porte sur ces trois pans de bois parallèles. Ces masures ne prennent de jour qu’à travers les pans de bois formant pignons. Il est difficile de ne pas voir, dans ces habitations, une tradition fort ancienne et qui se rapproche des constructions en bois de la vieille Suisse.
C’est sur les bords de la Garonne, dans le Languedoc et la Provence que l’on trouve les habitations rurales qui rappellent les maisons des champs des peintures antiques. La tradition romaine est restée plus pure, dans ces contrées, que partout ailleurs en France. Ces maisons de paysans sont larges, spacieuses, basses, orientées toujours de la manière la plus favorable, possédant des portiques ou plutôt des appentis à jour, bas, afin d’abriter les habitants qui, sous ce climat doux, se livrent à leurs travaux en dehors de la maison.